Speaker : Sébastien Jodogne

September 20, 2021 – 1PM

L’intelligence artificielle va avoir un profond impact sur les pratiques médicales dans les années à venir. Les algorithmes se perfectionnent rapidement et laissent entrevoir de nombreuses applications au bénéfice de notre système de soins de santé et au bénéfice des patients. Cette évolution se marque à la fois dans le monde scientifique, où de nouvelles recherches pluridisciplinaires dans le cadre de nombreuses pathologies s’appuient sur les outils d’apprentissage automatique, mais aussi dans le monde industriel, où des sociétés développent des produits qui intègrent de tels algorithmes dans leurs offres commerciales à destination du monde médical.

Malheureusement, de nombreux projets commerciaux sous-estiment l’extrême difficulté de déployer de manière harmonieuse un nouvel algorithme au sein de la routine clinique d’un hôpital. La formation des utilisateurs, l’intégration transparente dans les outils informatiques utilisés quotidiennement par les praticiens, la rentabilité du modèle économique, le respect des données patients dans le nouveau contexte du cloud, la régulation des dispositifs médicaux sont autant d’exemples de difficultés rencontrées qui demandent des financements, une expertise technico-légale, ainsi que des soutiens médicaux adéquats. Un algorithme n’est finalement qu’un petit composant dans une offre commerciale globale.

Réciproquement, les chercheurs en informatique créent souvent de nouveaux algorithmes sur base d’idées et de données qui ne sont pas entièrement représentatives des besoins de la routine clinique pour une pathologie donnée. En particulier, constituer un jeu de données cliniques pour entraîner un algorithme est un processus difficile et très coûteux qui nécessite la participation active de chercheurs cliniciens. Ces derniers doivent identifier formellement le problème médical à résoudre, fournir les données d’apprentissage, ainsi qu’étiqueter ces dernières afin de spécifier de manière non-ambiguë l’objectif de l’algorithme. Le tout en se rappelant que les algorithmes d’apprentissage automatique, singulièrement le deep learning, nécessitent de grandes quantités de données de qualité. Le fait de constituer de tels jeux de données demande dès lors un temps important de la part des cliniciens, temps qu’ils ne passent pas au chevet des patients. Pour qu’il soit un succès, tout projet de recherche en intelligence artificielle appliquée à la routine clinique doit donc résulter d’échanges continus entre les chercheurs cliniciens et les chercheurs en informatique : établir une compréhension mutuelle à travers un dialogue transversal et multidisciplinaire est une condition nécessaire souvent sous-estimée.

Par ailleurs, une fois que les données ont été rassemblées par une équipe de recherche clinique, ces données doivent encore être extraites des systèmes informatiques hospitaliers avant de pouvoir être communiquées aux chercheurs en intelligence artificielle. Cette phase d’extraction impose de mettre en place des protocoles d’expérimentation, de recourir à des outils de désidentification des données, de gérer la sécurité des données-patients, et d’avoir des systèmes informatiques ouverts qui autorisent une interopérabilité avec des logiciels externes. De leur côté, les chercheurs en informatique doivent disposer d’outils qui leur permettent d’exploiter ces données issues des logiciels-métiers déployés dans les hôpitaux. Enfin, en phase d’étude clinique, il doit être possible aux chercheurs cliniciens d’interfacer le nouvel algorithme avec leurs systèmes hospitaliers pour pouvoir l’évaluer dans des conditions réelles.

Cet exposé évoquera ces différentes dimensions qui font la complexité, mais aussi l’extrême richesse de l’intelligence artificielle appliquée au domaine clinique. Nous évoquerons différentes pistes de solutions à ces difficultés, comme la diffusion de jeux de données en open-data, le développement de logiciels libres et open-source sur base de standards ouverts qui permettent une interopérabilité avec l’environnement hospitalier, la sensibilisation au besoin de renforcer le dialogue et la fertilisation croisée entre les différentes parties prenants (médecins, ingénieurs, professionnels des soins de santé et patients), ou encore le développement d’algorithmes d’apprentissage qui respectent la protection des données médicales. Le projet libre et open-source Orthanc pour l’imagerie médicale illustrera certains de ces aspects.

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